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LADY OSCAR / LA ROSE DE VERSAILLES Les fanfictions Jarjayes! (fini) Répondre à : Jarjayes! (fini)

#846
Marina de Girodelle
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@marina-de-girodelle

Jarjayes!

Chapitre 6: Soudain comme Icare

Commander la Garde Royale n’était pas aussi difficile que ce qu’André avait pu imaginer. Le plus lourd était l’intendance, avec la liste des membres, savoir qui était absent, pourquoi, savoir ce que l’on avait acheté… Mais le côté organisé de la tâche le rassurait. Et Victor était un excellent professeur, patient et encourageant. Plutôt que de pointer là où le nouveau lieutenant avait fauté, il faisait l’éloge de l’idée, théoriquement bonne, et donnait ensuite un moyen plus simple ou plus efficace pour accomplir la tâche demandée.

Au début, malgré ses mots formulant une requête d’amitié, André s’était méfié de Victor.

La cour était un véritable nid de vipères et même s’il connaissait le comte depuis presque vingt ans, il lui fallait se garder de tout le monde. Jadis, il n’était qu’un palefrenier et lui parler, c’était avant tout montrer sa courtoisie et se donner une bonne conscience pour se faire admirer par ses pairs. Il était désormais un Jarjayes légitimé et l’héritier du comté de surcroît. Il était devenu nettement plus intéressant de par ce patrimoine qui l’attendait sagement.

– Enfin, je le connais depuis presque vingt ans… Est-ce que je le connais vraiment ? Je ne sais rien de sa famille, je ne sais rien de ses passions, de ses goûts… Oui, je le connais de nom, de vue, mais je ne connais pas le vrai Victor-Clément de Girodelle. Pas assez pour que je baisse ma garde.

Mais le noble lui avait prouvé à de multiples reprises qu’il n’avait pas à se méfier de lui. Toujours un mot gentil. Toujours une parole encourageante. Un intérêt sincère pour André, et non pas pour Jarjayes. Il était l’un des rares à mériter son titre de gentilhomme. Il était toujours prompt à défendre son honneur et parfois, André se demandait pourquoi le fait qu’on l’insultât puisse autant énerver son supérieur hiérarchique.

– Il est comme toi, il a des secrets. Pensa le jeune homme

S’il était heureux d’avoir Victor à ses côtés, il était bien conscient qu’il lui fallait également agir par lui-même. La rassurante béquille qu’était le comte ne serait pas présente toute sa vie. Il lui fallait gagner le respect des autres de par ses actions. L’occasion se présenta un jour, alors qu’un soldat refusait de se plier à ses ordres.

– Latour ! N’avez-vous donc point entendu le lieutenant de Jarjayes ? Tonna alors Girodelle
– Je l’ai entendu, Colonel.
– Alors, obéissez !

Le soldat se plia alors à la volonté du comte. Il n’obéissait que quand Girodelle commandait. Le colonel était énervé par cette situation et pensait même à renvoyer le soldat. Cependant, André le somma de ne rien en faire. Il descendit de cheval et alla se planter devant le jeune homme.

– Monsieur de Latour. Je vous parle ici en tant que noble, en tant qu’homme, et non en tant que supérieur J’ai ouï dire que votre refus de vous plier à mes commandes viendrait du fait que je sois né bâtard. Répondez-moi en toute franchise. Est-ce vrai ?

L’adolescent, qui était une nouvelle recrue, planta son regard noisette dans les yeux verts du lieutenant.

– Oui, Monsieur. Je ne reçois pas d’ordre d’un illégitime.
– Il me semble pourtant que vous-même, vous êtes le fruit d’un amour défendu. Pourtant, Monsieur de Latour, par respect pour votre mère, vous a élevé comme son propre fils.

Le jeune homme fut outré.

– Seule la vérité blesse. Vous et moi sommes du même panier. Sans doute en avez vous honte. Mais permettez-moi de vous donner un conseil tout à fait amical et d’une affection toute paternelle. N’oubliez jamais ce que vous êtes. Car le monde, lui, ne l’oubliera pas. Portez cela comme une armure, ainsi, on ne pourra jamais s’en servir contre vous. ( 1 )

Le calme olympien d’André le déstabilisa. Le fait qu’il l’avait percé à jour l’avait également secoué. L’adulte, loin d’être mécontent, lui souriait avant de regagner son poste. Le jeune homme ne s’excusa jamais publiquement, mais depuis cette discussion, il fut une recrue modèle. Et aucune autre n’osait broncher. Très rapidement, le côté pédagogue et psychologue d’André fut raconté dans tout Versailles et on associa au nouveau Jarjayes l’adage « une main de fer dans un gant de velours ».

 

XXXXXX

Si cela tuait Oscar de l’admettre, elle ne pouvait s’empêcher de constater que la vie nobiliaire réussissait parfaitement à son amour de demi-frère. Il semblait plus sûr de lui, comme si le poids d’être un roturier dans une cage dorée venait de lui être retiré. Il faisait même plus mûr, plus homme, et cela ne faisait qu’attiser son désir.

La compagnie B semblait très compréhensive et depuis le départ d’André, elle s’était tenue à carreaux et avait même parfois droit à de petites attentions. Chaque jour, vers seize heures, André avait l’habitude de lui apporter un chocolat. Aussi fut-elle surprise que de voir débarquer Alain avec une tasse fumante.

– On sait que cela n’est pas facile, Commandant. Mais faut pas vous y habituer, hein ?! On est des soldats, pas des serveurs ! Lui avait-il dit avec sa brusquerie typique qui cachait au fond de lui une certaine timidité.

Pour la première fois depuis longtemps, Oscar avait ri de bon cœur.

– Merci, Alain.

Elle avait essayé d’oublier André, ses lèvres, ses mains, ses caresses mais rien n’y faisait. Seul le travail la maintenait loin de ses réflexions. Aussi se lança-t-elle à corps perdu dans ses fonctions.

– C’est un mal pour un bien. Loin de mes tourments égoïstes, j’ai pu ouvrir les yeux sur le monde qui m’entoure. Pauvre France, comme ton peuple souffre ! Alors que nous, nous sommes choyés, nous nous plaignons encore. Nous vivons dans un Eden et pourtant, nous voulons plus, alors qu’une seule de nos fourchettes en argent pourrait nourrir une famille entière vivant dans la poussière. Cela ne change rien au fait que je sois égoïste, je travaille pour ma patrie avant tout pour me soulager, mais au moins, c’est un pêché utile.

Elle pensait souvent à cela pendant les repas qu’elle prenait avec André, qui lui racontait ses prouesses à la cour.

– Victor me demande souvent de tes nouvelles. Lui dit-il un soir
– Tu l’appelles par son prénom ?
– Tout comme il m’appelle par le mien. Il a gagné ma confiance ainsi que mon affection. Il s’inquiète pour toi, tu sais.

Girodelle. Ce brave Girodelle qui n’avait pas hésité à quitter son cercle de prétendants afin de la laisser libre d’être à André. Elle était désormais plus à même de comprendre l’étendue du sacrifice qu’il avait fait.

– Il nous invite à venir passer la fin de la semaine chez lui. Il pense que cela pourrait peut-être t’égayer, te permettre de rencontrer du monde. Dois-je décliner ?
– Non. C’est très bien ainsi. Nous irons.

XXXXXX

Le château des Girodelle était à peine plus grand que celui des Jarjayes mais il semblait tout droit sorti des peintures les plus champêtres de Fragonard, parfaitement intégré dans la nature environnante. Entouré de jardins à l’anglaise, des parterres de fleurs ornaient l’étendue verte. Au loin, sans doute en provenance de l’arrière du château, on pouvait entendre l’eau d’une fontaine. Sur un chêne robuste, il y avait une escarpolette patinée par le temps. Tout respirait le luxe discret, la sobriété et la délicatesse.

Victor-Clément de Girodelle était le maître de maison en l’absence de son frère aîné, qui était un commandant pour le général Washington. Un grand sourire se dessina sur son visage quand il vit ses invités arriver.

– Oscar ! André ! Soyez les bienvenus !

Il donna à André une accolade amicale et baisa avec douceur la main d’Oscar.

– Vous êtes ici chez vous, mes amis !

Alors qu’ils pénétraient dans le hall, une vision du paradis selon André descendit le grand escalier de marbre. La peau pâle, de grands yeux si sombres qu’ils paraissaient noirs, une chevelure d’ébène, longue et bouclée, coiffée en deux tresses se rejoignant à l’arrière du crâne sur le reste de la toison soyeuse, vêtue d’une longue robe pourpre, un air espiègle sur son visage à l’apparence si juvénile. Sa bouche était délicate et ses traits de visage ressemblaient à ceux des madones italiennes. ( 2 )

– Ne me présentes-tu pas à tes amis, mon frère ? Demanda-t-elle avec un léger accent italien qui renforçait son charme

Girodelle tendit le bras, la jeune femme y posa sa main fine et descendit le peu de marches qu’il restait.

– Lucrezia, je te présente mes amis, Oscar de Jarjayes et son demi-frère tout récemment légitimé, André.

Oscar et André baisèrent tour à tour la main de la jeune Girodelle si exotique. Elle eut une parole gentille pour chacun d’eux et Oscar, pour son plus grand agacement, remarqua que son frère ne pouvait pas décoller son regard de la jeune femme.

– J’ignorais que vous aviez une sœur, Girodelle. Lança-t-elle alors pour oublier
– Je l’ignorais aussi. L’arrivée de ma sœur dans ma vie s’est passée il y a quatre ans.

Lucrezia observa son frère aîné avec tendresse. Dans la famille de Girodelle, Victor-Clément était le seul à la traiter avec respect depuis la mort de leur père. Son autre frère la dédaignait, quant à sa belle-mère, elle était parfaitement glaciale malgré ses attentions sincères.

Alors qu’ils marchèrent vers un salon de jardin, Victor expliqua alors toute l’histoire.

Son père, Jean de Girodelle, était un ambassadeur du roi Louis XV en Italie. Là-bas, il rencontra la jeune et belle Giulia, qui descendait d’Alessandro Farnèse, que l’Histoire avait retenu sous son nom pontifical : Paul III. La demoiselle tenait son nom de la sœur du pape, la maîtresse d’un autre souverain pontife, Giulia « La Bella » Farnèse. L’histoire semblait se répéter pour cet homonyme. Le mari de la belle la négligeait, ne se rendant pas compte du joyau qu’il avait en sa possession. Ils vivaient séparés. Jean tomba follement amoureux de l’italienne, qui devint alors sa maîtresse-en-titre. Et ainsi, en 1767, à Rome, venait au monde une petite Lucrezia Vittoria. La petite eut droit à une éducation de princesse, elle était parée des plus beaux atours et son père l’aimait profondément malgré ses absences. Il adorait sa fille et malgré les années qui défilaient, il ne pouvait se résoudre à la marier. Aussi, en 1785, quand elle eut dix-huit ans et qu’elle perdit sa mère, elle était toujours célibataire. La mort de Giulia rendit Jean fou de chagrin et il n’eut de cesse alors que de s’arranger pour que Lucrezia puisse venir vivre avec lui, en France, sous le toit des Girodelle. Victor avait été aussi surpris qu’enchanté par sa nouvelle sœur. Il était le dernier de la famille et avait toujours souhaité devenir un grand frère. Il l’accueillit à bras ouverts. Pierre, l’aîné des Girodelle, ne daigna jamais l’appeler par son prénom. Elle n’était qu’une tâche sur le nom des Girodelle et se contentait de toujours la nommer avec dédain « la bastarda ». Marie-Christine de Girodelle accepta la présence de Lucrezia. Mais elle ne s’en rapprocha jamais. Lucrezia n’était pour elle que l’équivalent d’un meuble. La présence de Lucrezia et le fait qu Victor l’aimait furent les seuls réconforts de Jean eut avant sa mort l’année suivante, après une courte mais pénible maladie. Dans son testament, il indiquait son désir que de légitimer Lucrezia. Pierre s’y opposa, traitant la jeune femme de tous les noms, allant même jusqu’à l’accuser de forniquer avec leur propre père afin de jouir de ses faveurs.

– Comment oses-tu ?! Avait-elle hurlé en pleurs

Ce fut la seule fois où la matriarche Girodelle intervint, uniquement pour préserver la mémoire de son époux. Ce fut la première fois dans toute sa vie où Victor eut envie de tuer un homme. La vision de Lucrezia, de ses yeux noyés, de son visage indigné et endeuillé, parfaitement esseulée dans une maison qui la haïssait, faisait bouillir son sang de par la rage. Ce fut la seule fois où il tint tête à son frère.

– Les dernières volontés d’un homme sont sacrées ! Lucrezia sera connue sous le nom de Lucrezia de Girodelle ! Et si tu es trop couard pour être son représentant, alors moi, je le serai !

Pour compléter sa promesse, au-dessus du cadavre de leur père, il avait pris un couteau et s’était entaillé la main.

– Je fais ce serment au-dessus de la dépouille de notre père, dans son sang qui coule en nous trois. Si tu ne veux pas devenir le représentant de Lucrezia, moi, Victor-Clément de Girodelle, le deviendrait.

Depuis, les deux frères s’évitaient soigneusement. Victor pourvoyait à tous les besoins de sa sœur. Lucrezia fit vite le deuil d’un deuxième frère et d’une belle-mère. Elle avait Victor. Et Victor suffisait largement. Il l’aimait tant qu’il l’aimait pour trois personnes, il était un frère, un père, une mère, son meilleur ami dans cette France si belle mais si différente de sa Rome natale.

Alors que le quatuor s’installait à table, profitant du soleil, André, toujours le regard posé sur Lucrezia, comprit alors la soudaineté, la sincérité et l’intensité de l’amitié protectrice de Victor. Il savait ce que c’était que d’avoir une bâtarde dans la famille, il était le témoin des malheurs qui pouvaient leur arriver. Il appliquait l’adage « Ne fais jamais aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse ». La raison de Girodelle était en plus pleine de charme.

– Mon frère ne tarit pas d’éloges sur votre habileté à diriger, Monsieur de Jarjayes. Lui dit-elle avec un sourire
– Votre frère est trop bon. Mais je vous en prie, appelez-moi André.
– Seulement si vous m’appelez Lucrezia. Répliqua-t-elle espiègle

Une telle complicité alors qu’ils venaient de se rencontrer énervait Oscar. Certes, Lucrezia était charmante mais elle n’était qu’une voleuse, elle essayait de lui prendre André !

– Par Saint Georges, cesse donc de la regarder ainsi ! Je suis la seule que tu aies regardé avec cet air ! Pesta-t-elle intérieurement

Pourtant, André semblait obtus à son tourment, subjugué par la belle italienne. Il émanait d’elle une aura pleine de contradictions. Elle semblait si fraîche et innocente, pourtant, au fond de ses yeux malicieux, on lisait une maturité et une certaine mélancolie. Il avait aimé passionnément Oscar, et au fond, il savait que son amour ne pourrait jamais disparaître. Cependant, en voyant la charmante Lucrezia, il sentait que Cupidon pourrait encore se servir de lui comme cible. Cela lui semblait évident. Cela le soulageait autant que cela le rassurait. Et pour ne rien gâcher, la belle ne le quittait pas du regard.

– Avec ton accord, cher frère, puis-je faire visiter les jardins à nos invités ? Demanda-t-elle quelques temps après

Girodelle lui accorda ce plaisir. Oscar déclina poliment, ayant à parler avec son ami d’affaires importantes.

– Il semblerait que je sois alors votre seul touriste, chère Lucrezia. Dit André en se levant
– Aujourd’hui peut-être, mais qui sait pour demain ? Répliqua-t-elle en riant

Oscar les observa s’éloigner.

– Si vous saviez à quel point je suis heureux qu’André s’entende aussi bien avec ma Lucrezia ! La pauvre n’a que peu d’amis ici et si elle reste souriante, je sais que Rome lui manque.

Son interlocutrice se contenta d’acquiescer.

– Vous savez, mon frère se refuse à se marier. Il prétend que cela est à cause de sa passion pour l’armée. Ce qui est en partie vrai. Mais il se sait également atteint de maladies honteuses. Il ne veut pas imposer cela à une femme.
– C’est très honorable. Cela signifie que vous allez hériter. Allez-vous prendre épouse, Girodelle ?
– Non, Oscar.

La blonde fut alors surprise et le regard olive de Victor s’assombrit, voilé par une tristesse digne.

– Je pourrais. Mais cela serait par dépit. Je ne veux ni insulter celle que j’aime ni celle qui porterait mes enfants.
– Vous ne me devez rien, Girodelle. Vous êtes libre. Je souhaite que vous trouviez le bonheur.
– Mon bonheur passe par le vôtre, Oscar. Et si je sais que je ne pourrais jamais avoir l’honneur que d’être votre époux, je pense néanmoins avoir trouvé une autre forme de bonheur.

Au loin, Lucrezia riait. Ce son cristallin fit sourire son frère.

– Mon bonheur est de voir ceux que j’aime, que j’apprécie, être heureux. Vous semblez avoir trouvé une voie qui vous fait moins penser à vos tourments, vos yeux ont enfin retrouvé leur éclat. Cela me comble de bonheur. Ma Lucrezia fait ma fierté et ma joie. Je ne demande rien de plus.
– Ne souhaitez-vous pas des enfants ?
– Vous savez, quand Lucrezia est arrivée ici, malgré sa bonne éducation et son excellent français, elle avait à apprendre encore beaucoup de choses pour pouvoir s’intégrer dans ce pays. Je suis son seul protecteur depuis la mort de notre père. Je suis à la fois son père, sa mère et son frère. Je suis déjà un parent. Elle est presque une fille pour moi. D’ailleurs, je vais vous mettre dans la confidence. Je compte faire d’elle ma légataire. Illégitime ou non, cette propriété et nos terres lui reviennent de plein droit. Et elle fera un excellent chef de famille. Je le sais, car vous en êtes le parfait exemple.

Oscar comprit alors une chose. Si on n’oubliait jamais rien, que l’on vivait avec, il fallait aller de l’avant. Et c’était ce que faisait André, en traçant sa propre voie, en s’éloignant d’elle pour recréer le lien fraternel qui existait entre eux jadis, avant que l’amour ne fleurisse entre eux. Les regrets faisaient partie de la vie. Mais ils n’empêchaient pas de trouver une forme de joie sur cette planète. Si Girodelle avait pu trouver son bonheur en le bonheur de sa petite sœur, et ce malgré ses peines, elle en était capable.

– Sachez ceci, Girodelle. Je suis comme vous. Je ne connaîtrai jamais les joies maritales.

André et Lucrezia marchaient dans l’immensité verte, profitant du soleil et du ciel limpide. La jeune femme était curieuse et lui posait mille questions, sur la difficulté de diriger des armées, la vie de cour, le roi, la reine, Versailles, Paris. Elle n’avait jamais été présentée aux souverains, son frère aîné et sa belle-mère s’y étant opposés. Le lieutenant lui répondait avec patience, avec amusement même.

– Mon frère m’a dit que vous étiez un homme très courageux et que vous aviez sauvé votre sœur plus d’une fois.
– Votre frère exagère mes vertus, cela m’a paru bien naturel que de secourir ma chère Oscar. Mais assez parlé de moi, parlons un peu de vous, Lucrezia. Rome ne vous manque-t-elle pas ?
– Un peu. J’avoue que ses rues étroites, ses somptueuses églises, les bénédictions du Saint-Père, les cris des marchants sur la place du marché, cela avait son charme. Mais il y a une chose que je ne regrette pas.

Le jeune homme la regarda, elle arborait un visage sérieux.

– L’odeur. Lâcha-t-elle grave avant de rire
– L’odeur ?! Ria-t-il à son tour
– Oh oui ! Rome pue ! Entre le Tibre qui recrache chaque jour des cadavres et les déjections, il y a là une fragrance dont je me passe à merveille. Expliqua l’italienne, son éternel sourire sur le visage

Elle devait se l’avouer, elle aimait beaucoup André. Il était déjà bel homme, ce qui ne gâchait rien, mais il avait suffi d’un regard pour qu’elle se sente proche de lui. Il avait l’air d’être un homme simple, un homme bon, un homme honorable. Il était un peu maladroit dans ses gestes mais cela ne le rendait que plus adorable. Il était comme elle, souffrant des moqueries des autres en raison de sa naissance et pourtant, il semblait heureux de vivre là où bien d’autres bâtards maudissaient Dieu, où d’autres se noyaient dans leur espoir illusoire de faire oublier leurs origines. Non, André ne se cachait pas, il assumait, malgré sa légitimation. Elle-même trouvait qu’être bâtarde donnait un certain cachet à sa personne mais cette licence pouvait s’avérer pesante, malgré l’affection de Victor. Elle avait l’impression qu’André la comprenait.

Le duo arriva vers la partie préférée de Lucrezia dans ce jardin géant, la fontaine. Cet endroit lui rappelait la maison de sa mère. Quand elle était petite, elle jouait à pieds nus dans l’eau de la fontaine et elle essayait d’attraper des oiseaux et des papillons. Père la surprenait et il ne disait rien, car c’était l’été, et l’été était souvent brûlant à Rome. Il la soulevait, l’embrassait et allait offrir à Mère les roses rouges qu’elle adorait. Alors qu’elle expliquait l’anecdote à son hôte, son regard se perdit dans le vide et pour la première fois, l’homme vit un mal du pays naître en elle. Cela lui fit mal au cœur, à un point qu’il ne pouvait expliquer. Du coin de l’oeil, il vit une magnifique rose blanche. Il la cueillit et lui tendit.

– Elle n’est guère rouge, mais j’espère qu’elle pourra vous remonter le moral.

La jeune femme accepta le présent, très touchée. Et quand André lui baisa la main pour la remercier de la visite guidée, elle sentit son cœur s’accélérer. Elle passa le reste de la journée à rêver de lui, et Victor ne put s’empêcher de remarquer que sa petite sœur venait d’être frappée par la foudre de la romance, pour son plus grand plaisir.

Dans la chambre d’André, au soir, Oscar était venue pour partager un verre de vin. Elle lui annonça son intention de demeurer célibataire, faisant de lui son héritier.

– En es-tu sûre, Oscar ?
– Il n’y a qu’un seul homme que je veux épouser et je ne peux pas. Cet homme, je l’ai perdu quand le testament de Père a été ouvert. Je me refuse à mentir, surtout quand cet homme est tombé amoureux d’une autre.
– Je ne suis amoureux de personne.
– Par Saint Georges, André, même un aveugle serait capable d’affirmer que tu es amoureux de Lucrezia de Girodelle ! Tu la dévores du regard, tu es heureux en sa compagnie. Toi qui crois
aux coups de foudre, te voilà électrocuté par l’Italie !

André rougissait, Oscar éclata de rire.

– Je ne suis pas amoureux, Oscar ! Oui, Lucrezia est une jeune femme charmante, pleine de vie, très belle de surcroît, avec de l’esprit et…
– André. Tu t’enfonces. Tu aimes Lucrezia. Je vais te donner un conseil, le même qui m’a fait réaliser que je t’aimais. La différence entre l’amitié et l’amour est très simple. Tu ne pourras jamais t’imaginer faire l’amour avec un ami. ( 3 )

Le jeune homme ferma les yeux et tenta de se représenter la scène. Il vit alors une Lucrezia magnifique, nue, qui l’embrassait alors que sa main traçait les lignes de ses abdominaux, descendant plus bas. Il rougit un peu plus alors qu’il revint à la réalité.

– Tu l’aimes. Conclut simplement Oscar

Le constat ne l’affecta même pas, à sa grande surprise. Elle qui avait été jalouse des attentions d’André envers la demoiselle, le fait de savoir qu’il en était tombé amoureux au premier regard ne lui fit absolument rien. Etait-ce parce qu’elle s’était fait une raison, la mort dans l’âme ? Elle ne le savait pas. La nouvelle ne la réjouissait pas mais elle ne l’attristait pas non plus.

– Si tu l’aimes et qu’elle t’aime en retour, je n’ai aucune objection à formuler concernant votre mariage, si vous voulez vous marier. Victor n’en posera aucune, j’en ai la certitude.
– C’est un peu trop rapide…
– Tu as plus de chance que la majorité des nobles, André. Tu es libre d’épouser la femme que tu aimes et que tu désires. Mes parents se sont rencontrés le jour de leurs noces. Ils ont eu la chance de voir l’amour fleurir au fil des années. Mais dans ton cas, l’amour se renforcera. Vous serez sans doute le couple le plus amoureux dans toute l’histoire de Jarjayes.
– J’avoue que passer ma vie à ses côtés est une idée qui me plaît.
– Alors file et fais ta demande, aie des couilles ! Sois un homme et demande-lui d’être tienne ! Lança-t-elle en lui donnant une bague qu’André reconnut comme étant la bague de fiançailles de la mère d’Oscar, transmise de génération en génération.

André fut pris d’un fou rire et embrassa sa sœur sur la joue avant de filer. Il trouva Lucrezia en compagnie de son frère dans un petit salon. Un feu ronronnait dans la cheminée. La jeune femme lisait à son frère de la poésie en italien. Elle avait retiré le peu de maquillage qu’elle avait, ses cheveux étaient lâchés. Elle était encore plus belle.

– Pardonnez-moi de vous déranger, Victor, Lucrezia, je sais qu’il est tard. Commença-t-il en bégayant un peu
– Je vous en prie, André. Que se passe-t-il ? Demanda le colonel de la Garde Royale

Voyant son ami mal à l’aise, il comprit que cela était à propos de sa sœur et eut une vague idée du projet du jeune homme.

– Cela concerne Mademoiselle Lucrezia…

Elle se leva, un peu inquiète, André avait l’air si mal à l’aise ! Cela ne lui ressemblait pas.

– Qu’y a-t-il André ?
– Je sais que cela est fort soudain… Et sans doute étrange mais…
– Mais ?

André mit alors un genou à terre et sortit la bague d’or et de saphir.

– Lucrezia Vittoria de Girodelle, accepteriez-vous de m’épouser ?

La jeune femme, sous le choc, les mains jointes devant sa bouche, vit du coin de l’oeil le sourire approbateur de son cher frère. Et au fond d’elle, la réponse était claire. Cela avait été soudain, pour elle aussi. Soudain mais magnifique. Elle accepta. Leurs lèvres se joignirent en un baiser chaste.

Le couple fut marié le 14 février 1789 dans la chapelle royale de Versailles. La fête se poursuivit chez eux, en compagnie des hommes de la compagnie B. Le 5 mai 1789, le souhait de Rainier de Jarjayes de voir la sérénité de sa famille assurée se réalisa.

Lucrezia était enceinte.

 

 

A Suivre

( 1 ) Cette phrase est une phrase de Tyrion Lannister dans Game of Thrones. Je la trouve si belle et si juste que je voulais la recaser.
( 2 ) Personnage inspiré par Marta Gastini dans le rôle de Giulia Farnèse pour l’apparence physique ( Borgia ).
( 3 ) Conseil de Sugi dans le manga Girlfriends

~ Un soleil se couche, un autre se lève et ce qui fleurit aujourd'hui périra demain. Tout n'est que vanité!