Les oeufs de Pâques

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    Marina de Girodelle
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    @marina-de-girodelle

    Cette fiction est ma participation au concours de Pâques 2020 du forum Lady Oscar-André. Les conditions étaient : écrire sur le thème de Pâques (forcément, vu que c’est le concours de Pâques), la fic doit être titrée et achevée, sujet libre avec autorisation d’aller piocher dans les thèmes des années précédentes.

    Les œufs de Pâques 

     

    Assis à la cuisine, entouré des merveilleuses odeurs de cuisson, le petit André, huit ans, poussa un profond soupir. Cela allait être bientôt Pâques, le premier Pâques passé chez les Jarjayes depuis son arrivée suite au décès de ses parents. Le Général et la Comtesse avaient été des anges de patience à son égard. Madame de Jarjayes ne se fâchait jamais contre lui s’il commettait une maladresse ou s’il employait le mauvais terme. Un jour, par mégarde, il l’avait appelée « Maman » !

    – André, veux-tu bien m’apporter ce livre qui est là-bas ? Lui avait-elle demandé

    La matriarche se remettait d’une vilaine fièvre qui, si elle avait été sans gravité, l’avait tout simplement épuisée. Il hocha la tête avec sourire et répondit le plus naturellement du monde :

    – Oui, Maman !

    Il se passa quelques secondes avant qu’il ne réalise la bévue qu’il avait commise. Il baissa la tête, les yeux remplis de larmes, les joues rouges de honte, mortifié.

    – P… Pardon, Madame de Jarjayes… Hoqueta-t-il

    Son regard toujours fixé sur ses chaussures, il n’avait pas vu l’expression surprise mais tendre, avec un soupçon de tristesse, se peindre sur le visage de la maîtresse de maison. Elle ne pouvait qu’imaginer la dévastation du garçon, qui avait eu le malheur de perdre ses deux parents dans un horrible incendie ! En tant que mère, elle avait pu ressentir, jusqu’au fond de ses entrailles, le désespoir de Grand-Mère qui perdait sa fille unique et son gendre. Perdre sa mère, son père, puis son village, ses repères, étaient des expériences déjà difficiles à affronter quand on était un adulte, alors un enfant qui n’avait même pas dix ans ! C’était pour cela que Rainier et elle étaient aussi « laxistes ». Elle avait bien conscience que son mari et elle détonnaient dans le monde nobiliaire. D’autres seraient partis du prédicat qu’André devait grandir sur le champ, s’adapter pour survivre ou alors rester le même mais périr. C’était un point de vue qu’elle entendait mais qui la faisait vomir. Et tout au fond du cœur de son époux, elle savait qu’il en était de même.

    – Pardon, Madame… Ne cessait de répéter l’enfant

    – Oh André… Dit-elle doucement. Viens par ici.

    Il releva enfin ses grands yeux verts humides et vit l’alitée lui sourire avec douceur, les bras tendus vers lui.

    – Viens !

    Il approcha timidement, la tête rentrée dans les épaules. Elle le fit s’asseoir sur le bord du lit et l’enlaça avec délicatesse. Elle l’avait senti se raidir, saisi par ce geste maternel envers lui, un petit paysan normand, venant d’elle, la noble versaillaise.

    – Tu n’as rien fait de mal, André. Le consola-t-elle. Je ne suis pas fâchée. Cela arrive. Tu es encore jeune et tu as vécu des choses horribles. Il te faut du temps, c’est aussi simple que cela. Dis-moi, tu le sais, pourtant, que ce temps, Monsieur et moi te le donnons ?

    – Oui, Madame…

    – Nous savons que tu vis des moments douloureux, André. Des moments que seul le temps peut guérir. Et pour bien guérir, il ne faut pas précipiter les choses.

    Peu à peu, il s’était calmé. Plus tard, le Général était venu le voir, Madame lui avait évoqué l’anecdote et il confirmait les mots de son épouse : il n’y avait pas mort d’homme ! C’était là un accident de langue plutôt mignon.

    Oui, Monsieur et Madame de Jarjayes étaient d’une compréhension hors-normes envers lui et il savait sa chance. Dans une autre maison, au mieux, on se serait moqué de lui, au pire, on l’aurait chassé. Ici, Madame le consolait et Monsieur lui disait qu’ils n’étaient pas fâchés. Malgré son jeune âge, il savait ce que le mot reconnaissance voulait dire. A défaut d’en donner une définition intelligible, il la comprenait, il la ressentait, cette gratitude viscérale qui l’envahissait à chaque fois qu’ils repensaient aux bontés du couple envers lui. Cela n’était peut-être pas complètement désintéressé, il fallait bien qu’Oscar garde son compagnon de jeu mais ils n’étaient pas obligés d’être gentils avec lui, réellement gentils, pas cet altruisme de façade que lui, à huit ans, percevait alors que les adultes semblaient hermétiques à ce déchiffrage de nuances dans les tons qu’employaient les hypocrites.

    – Attention André ! A force de faire la moue, tu vas finir ridé avant d’avoir dix ans ! Plaisanta Grand-Mère

    – C’est que j’ai du chagrin, Grand-Mère.

    Elle posa son panier d’osier sur la table.

    – Allons bon ! Que se passe-t-il ? Tu as rêvé à nouveau de Papa et de Maman ? S’inquiéta immédiatement la vieille nourrice.

    – Pâques arrive bientôt. Répondit son petit-fils. Les nobles, ils s’offrent des œufs entre eux, des beaux, avec des peintures, des dorures, en porcelaine de Sèvres ! Monsieur et Madame sont très gentils avec moi et je n’ai rien à leur offrir ! Je n’ai pas assez de sous pour acheter un joli cadeau.

    – Quel brave petit ! S’émerveilla Rosine, l’une des aides de cuisine.

    Grand-Mère le regardait avec émotion.

    – Oh, mon pauvre petit André ! Tu sais, Monsieur et Madame n’attendent rien de ta part, juste que tu leur souhaites une bonne fête.

    – Mais je voudrais leur faire plaisir !

    Grand-Mère fronça les sourcils, pensive, avant que son visage ne s’illumine, prise par une idée.

    – Et si tu leur créais un cadeau ? Nous avons plein d’oeufs, tu pourrais en prendre deux et les peindre ! Je suis certaine qu’Oscar te prêtera ses peintures !

    – Tu crois qu’ils seront contents ?

    Elle sourit.

    – Ils seront ravis.

     

    XXXXX 

     

    Oscar avait de suite accepté de prêter ses couleurs à André à la condition de pouvoir le regarder faire. Elle ne toucherait à rien, promis juré ! Elle voulait juste regarder, elle n’avait jamais vu quelqu’un peindre un œuf avant.

    – Et puis, je connais les couleurs préférées de Père et de Mère ! Je pourrais te conseiller ! Tu seras comme Maître Lebel, l’homme qui peint sur les coquilles d’oeufs !

    – Je n’ai pas assez de talents pour faire des visages comme les siens !

    Oscar n’avait plus de leçon, son père était au château et sa mère partie voir une voisine. La fillette aux cheveux d’or s’était sagement assise face au peintre amateur. Rosine avait protégé la table de la cuisine avec des vieux papiers : des brouillons chiffonnés, des listes désormais périmées… Un petit pot de verre était au milieu du meuble, prêt à rincer les pinceaux et protégé des éventuels faux mouvements. Les enfants avaient été revêtus d’un tablier pour ne pas salir leurs habits. André prit un premier œuf, que Grand-Mère avait vidé auparavant, ce qui n’avait pas manqué de le faire rire : sa grand-mère souffler dans un œuf ! Il se saisit ensuite d’une peinture blanche et recouvrit l’intégralité de la coquille. Pendant que cela séchait, il peignait un autre œuf intégralement, en noir cette fois-ci. Oscar veillait au séchage, lui indiquant quand il pouvait retravailler sereinement. Ses pieds se balançaient dans l’air alors qu’elle tentait de deviner les motifs qu’allait peindre André. Des bonhommes ? Juste des tâches multicolores ? Son compère reprit l’oeuf blanc et avec un pinceau très fin, il traça une ligne dorée au milieu et qui faisait le pourtour de la coquille. Il tenta aussi de faire des petites fioritures sur le dessus et sur la base. Sur l’oeuf noir, avec de la peinture blanche, il traça une forme qu’Oscar avait du mal à reconnaître.

    – Mère adore le bleu. Lui glissa-t-elle, le voyant hésiter entre le jaune et le bleu ciel.

    Le garçonnet lui sourit.

    – Merci de m’aider, Monsieur Oscar.

    – Roh, André, je te l’ai dit mille fois ! Tempêta la petite fille. Tu dois m’appeler Oscar et me dire tu ! Toi et moi, nous sommes pareils ! Sinon, Père et Mère ne nous laisseraient pas jouer ensemble ! Et puis, on est amis maintenant, non ?

    Il s’en était douté mais le fait de l’entendre lui réchauffa le cœur et il se rendit compte qu’il avait besoin que cela fusse dit. Il avait un ami dans cette grande maison chaleureuse mais encore étrangère. Cela allégeait un peu son deuil.

    XXXXX 

    Les Jarjayes revenaient de la messe en ce jour de Pâques 1763. Hortense était remontée de Vendée avec son époux et son enfant, Ambroise, âgé de deux ans et un ventre bien rebondi. Un dîner délicieux les attendait et ils étaient affamés. André décida d’attendre le soir pour offrir ces cadeaux. Une fois les festivités terminées, il se rendit dans les appartements de Madame, où elle buvait un chocolat avec Monsieur.

    – Oh, bonsoir André ! Sourit Madame de Jarjayes. As-tu passé de bonnes Pâques ?

    – De très bonnes Pâques, merci Monsieur, merci Madame !

    Le couple avait en effet laissé à la cuisine, à l’attention d’André, un cadeau pascal. Un joli livre, puisqu’il semblait aimer la lecture, quelques soldats joliment sculptés et un sachet de pralines. Il approcha timidement, les mains derrière le dos.

    – Ce n’est pas grand chose… Commença-t-il. Mais je voulais… Vous montrer que j’étais content d’être ici.

    Ramenant ses mains vers son buste, il révéla alors une boîte en bois que Rosine lui avait prêtée. Il l’ouvrit et le couple découvrit alors, placés avec soin sur de la paille fraîche, deux œufs peints à la main.

    – André… Tu les as fait toi-même ? Demanda la noble

    – Oui, Madame ! Oscar a eu la gentillesse de me prêter ses couleurs.

    L’oeuf blanc était destiné à Madame de Jarjayes. En plus de son fond blanc et de ses détails dorés, André avait peint des multitudes de petites fleurs fleurs, prenant soin de leur faire un centre jaune. L’oeuf noir, réservé au Général, avait le symbole de la famille peint sur la coquille : un lion bleu tenant un sabre dans sa patte droite. Les traits étaient hésitants et tremblants mais le couple sentait toute la concentration et l’implication du petit garçon dans son ouvrage. Un ouvrage qui leur était destiné. Il les regardait avec crainte mais aussi impatience, curieux d’entendre leurs sentiments.

    -Oh André ! S’exclama la comtesse. Ils sont superbes ! N’êtes-vous pas d’accord, mon ami ?

    – Ils sont de très bonne facture, en effet ! Et puis, il faut avoir l’idée ! Reproduire notre blason sur une coquille ! Et vous, ma mie, ce joli champ fleuri !

    Le garçonnet avait un sourire jusqu’aux oreilles.

    – Nous sommes très touchés ! Merci beaucoup André ! Dit Rainier

    – Oh oui ! Je suis émue à l’idée que tu aies passé autant de temps sur un travail aussi minutieux pour nous ! Je vais les mettre dans une belle vitrine, pour que tout le monde puisse les voir ! Ajouta sa femme

    Le Général lui serra la main et Madame lui embrassa la joue. La nuit venue, Oscar se glissait dans la chambre d’André.

    – Alors ? Alors ? Lui chuchota-t-elle en le secouant pour le réveiller

    – Alors quoi ? Répondit-il d’une voix ensommeillée

    – Ont-ils aimé ?

    – Oh oui, beaucoup ! Merci encore, Oscar !

    Elle sourit.

    – Dis !

    – Oui ?

    – Tu voudras bien m’en peindre un, pour moi ?

    Le lendemain, dans l’après-midi, Madame de Jarjayes cherchait Oscar, sa leçon d’équitation annulée en raison d l’orage. Elle la retrouva en cuisine, face à André, tous les deux peignant des œufs.

    FIN 

    ~ Un soleil se couche, un autre se lève et ce qui fleurit aujourd'hui périra demain. Tout n'est que vanité!

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