Réminiscence

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    Marina de Girodelle
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    @marina-de-girodelle

    Réminiscence 

    Epuisée, encore pantelante, Julie de Polignac serrait contre elle ce petit bébé auquel elle venait de donner la vie.

    Une fille.

    Encore une.

    La première pour son époux, la deuxième pour elle, son aînée étant un secret gardé, enfermé au plus profond de son coeur.

    Et pourtant, aujourd’hui, face à Charlotte qui vagissait dans ses bras, les verrous de cette cage sautaient, laissant la tristesse envahir la jeune mère.

    Une fille.

    Encore une.

    Comme si le Destin avait décidé de la railler. Elle qui avait abandonné, la mort dans l’âme, sa fille à peine née à la servante de son ancien amant, le premier enfant qu’elle avait dans les liens sacrés du mariage était de nouveau une demoiselle.

    Comme si Dieu voulait lui rappeler son infamie, elle qui avait été trop faible pour s’imposer face à ses parents, elle qui ne s’était pas battue pour cet enfant, elle devrait alors se rappeler tous les jours son crime en posant les yeux sur sa nouvelle fille, la soeur de sa bâtarde.

    Elle n’avait que quinze ans à l’époque et elle ne pouvait pas se permettre un scandale. Ses parents étaient de petits nobliaux rigides, au nom ancien mais à la bourse bien vide. Ils comptaient sur elle et sur son minois pour épouser quelqu’un de riche mais ayant besoin de la légitimité d’un patronyme, pour rembourser les dettes familiales. Rosalie, ils l’auraient noyée dans un ruisseau, ils l’auraient abandonnée sur le parvis d’une église ou ils auraient tout fait pour qu’elle la perde. Qui aurait voulu d’un bien souillé? Cela semblait terriblement dérisoire mais face à la pression qu’elle avait sur les épaules depuis sa naissance, elle n’avait pu que plier et faire taire son désir de garder son petit bébé adoré, hurler sa rage au plus profond d’elle. Le duc de Saint-Rémi avait été une ordure. Une fois enceinte, elle ne l’intéressait plus, il avait ri quand elle l’avait supplié de l’épouser au nom de leur enfant et de l’amour qu’ils se portaient. Puis, elle apprit qu’il avait engrossé sa servante, lui avait fait une fille, cette même domestique qui avait montré une compassion sans borne envers elle. Enfin, peu de temps après, alors que son ventre commençait à peine à poindre, le duc mourut d’une chute de cheval.

    – Ma pauvre, pauvre Mademoiselle… L’avait bercée Nicole

    Crème de la gentillesse humaine, elle lui avait offert de prendre son bébé sous son aile. Rosalie naquit quelques jours avant la vente du château de son père.

    Lors de sa grossesse déjà, Julie n’avait eu de cesse de penser à Rosalie, son premier bébé qu’elle avait mis au monde dans une pièce minuscule, un débarras à peine accessible dans une aile du château du duc de Saint-Rémi, aidée de Nicole. Ce qui la hantait encore plus était le bleu des yeux de Rosalie, la même teinte que ses propres pupilles. Elle aimait déjà Charlotte, elle l’aimait de tout son coeur, mais elle ne pouvait s’empêcher de ressentir cette ironie, cette amertume, ce manque qui se décuplait face à l’événement. Elle pleura.

    – Oh ma chère! Lui dit Jules, son mari. Ne soyez pas déçue! C’est une belle enfant, elle a hérité cela de vous! On lui donnera une bonne éducation et on lui trouvera un bon mari! La prochaine fois, cela sera un fils!

    Rosalie lui manquait terriblement et cette naissance n’arrangeait rien. Cela serait sa croix à porter pour ses péchés, sa faiblesse, sa lâcheté. Son bébé était sûrement mort de toute façon… les enfants étaient si fragiles ! Déjà dans les familles nobles, où on pouvait faire venir un médecin ! Alors, dans une famille pauvre qui vivait sans doute dans la misère… L’idée lui brisait le cœur, l’étouffait mais elle se voulait réaliste. Si Rosalie était morte, son assassin ne serait personne d’autre qu’elle, sa mère, qui l’avait laissée dans de telles conditions. Son histoire, ses raisons, expliquaient son geste sans pour autant le valider. Elle n’était qu’une femme parmi les milliers qui avaient vécu ce déchirement interne.

    Mais Charlotte, elle, ayant eu la chance de naître sous une meilleure étoile.

    Charlotte ne lui serait pas arrachée.

    Personne, jamais plus personne, ne la priverait de ses enfants.

     

     

    FIN 

    ~ Un soleil se couche, un autre se lève et ce qui fleurit aujourd'hui périra demain. Tout n'est que vanité!

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